Tu peux paaaaas comprendre!!!

Ce matin, je lisais la réaction (épidermique) d’une de mes connaissances sur Twitter après un « débat »[1]si l’on peut qualifier des échanges à l’emporte-pièce en 140 caractères de débat – ce dont je doute un peu, et c’est pour cela que je développe ce sujet en ces lignes au sujet d’une minorité de de la minophobie supposée de gens, et je tiquais quelque peu.

Cette réaction se divisait en deux volets, qui m’ennuient tous deux:

– « Vous » avez opprimé les minoritaires, alors « Vous » devez vous taire
– « Vous » n’êtes pas des minoritaires, alors vous pouvez pas comprendre

Structure classique, dans laquelle on peut remplacer la minorité aisément par les noirs, les étrangers, les personnes homosexuelles, les pauvres ou les femmes[2]oui, bon, techniquement, elles ne sont pas une minorité…

Vous vous en doutez, en tant qu’homme blanc « aisé » et résolument hétérosexuel à tendance monogame, je suis censé être un archétype de la Majorité (même si je pense qu’en faisant l’intersection de toutes ces majorités, on doit obtenir une minorité pas franchement importante), et donc systématiquement endosser le rôle de l’Oppresseur minophobe… sauf que je refuse, et pour plusieurs raisons:

« Vous » avez opprimé les minoritaires, alors « Vous » devez vous taire

Là, je crie haut et fort à l’amalgame, et les amalgames, je déteste ça. D’abord parce que j’estime que je n’ai pas à payer pour les fautes des autres (et c’est valable pour la Shoah, la traite des noirs, le proxénétisme ou le fait de ne pas offrir de Lego à ses filles). Et ensuite parce que je mets généralement un point d’honneur à déjouer les statistiques[3]Sur les stéréotypes et les statistiques, lisez donc la première partie de cet article.

– « Vous » n’êtes pas des minoritaires, alors vous pouvez pas comprendre

Là, c’est faire insulte à mon intelligence. Même s’il y a des choses que je n’expérimenterai pas directement (pour des raisons plus ou moins évidentes), je tiens à rappeler qu’il est mille et une occasions d’être hors-norme, parce que l’on est « trop ceci » ou « pas assez cela », d’en souffrir (pour de bonnes ou de mauvaises raisons), voire, dans certains cas, d’être opprimé (essayez d’être petit dans une cour de récréation…). Je tiens aussi à rappeler que le but de la réflexion est aussi de permettre d’avoir des avis sur des sujets qui ne nous touchent pas directement (et si l’on ne devait avoir un avis que si l’on est directement concerné, on perdrait beaucoup de « on refait le match » à la machine à café…).

Donc non, je ne me tairai pas, et oui, mon avis est a priori valable. Maintenant, débattons 😉

Et puis comme tout finit (en tout cas ici) par une vidéo:

Vous avez le droit de me remercier pour vous avoir épargné le générique

References

References
1 si l’on peut qualifier des échanges à l’emporte-pièce en 140 caractères de débat – ce dont je doute un peu, et c’est pour cela que je développe ce sujet en ces lignes
2 oui, bon, techniquement, elles ne sont pas une minorité…
3 Sur les stéréotypes et les statistiques, lisez donc la première partie de cet article

7 commentaires

  1. Tellement de choses à répondre, je vais peut-être en faire quelques billets, tiens 😉

    Déjà, je ne pense pas que ce soit une question d’intelligence, vraiment pas. Je pense que c’est une question d’empathie, et qu’il faut en avoir beaucoup, genre, vraiment énormément, pour ne pas superposer sa propre expérience à celle de la personne qui parle et, dans certains cas, minimiser ce qu’elle ressent et ne pas respecter sa parole (je m’inclus dans le lot, par exemple j’ai déjà été indélicate avec un ami qui me racontait sa terreur d’avoir vu sa femme accoucher devant lui, avec lui pour seule aide, parce que j’avais très mal vécu l’intrusion injustifiée du médical dans mon accouchement. Je m’en suis beaucoup voulu après coup, mais c’est vraiment très dur de ne pas avoir pour premier réflexe de comparer ce qu’on entend avec ce qu’on connait, ce qu’on a vécu).

    Ensuite, je pense que quand on demande aux hommes de se taire au sujet de combats féministes (cas que je connais, c’est pour ça que je le prends comme exemple), ça peut être pour deux raisons.
    Premièrement, les hommes ont déjà la parole plus souvent que les femmes, demander, pour une fois et sur certains sujets bien délimités, que ce soit l’inverse, ne me choque pas plus que ça.
    Ensuite, je vais employer une métaphore pourrie (je suis très douée pour ça). Imagine qu’un proctologue t’ait fait subir une coloscopie sans anesthésie, qu’il t’ait fait un mal de chien, et en plus se soit foutu de ta gueule avec le personnel soignant en te voyant te tordre de douleur. Bon.
    Tu racontes ça à un ami qui se trouve être, lui aussi, proctologue.
    Et là le mec, au lieu de compatir ou de te dire ce que tu pourrais faire (procès, appel au conseil de l’Ordre, que sais-je) te dit « mais moi je ne suis pas comme ça ! »
    Autrement dit, il ne fait tourner TON problème qu’autour de SON nombril.
    C’est quelque chose qui, personnellement, me tape sur les nerfs. Quand on raconte qu’on a des soucis de harcèlement au boulot, dans la rue, où que ce soit, la dernière chose dont on a besoin ce sont des hommes qui viennent se justifier sur le thème « mais moi jamais » « mais mes amis non plus » et ça finit trop souvent par « donc ce ne sont que quelques cas isolés, faut pas pousser, c’est pas si terrible ».
    Sauf que ça, c’est faire tourner le problème de quelqu’un d’autre autour de son propre nombril, et invalider le ressenti de la personne qui raconte son expérience. Au bout d’un moment, quand la discussion est monopolisée par ça au lieu de rester sur le sujet d’origine, elle ne va nulle part et elle n’aide personne. Et ça craint.
    Peut-être que toi personnellement tu aurais la sensibilité qu’il faut pour ne pas tomber dans ce travers. Mais dans ce cas tu fais partie d’une minorité, et, oui, c’est dommage qu’on te demande à toi aussi de te taire pour faire taire tous ceux qui n’auront pas ta délicatesse. Le problème, c’est que la plupart des gens qui ne respectent pas la parole des autres ne s’en rendent pas compte, ils ne le font pas délibérément. Donc on ne peut pas dire « vos gueules les gros lourds, les autres on veut bien vous entendre », ça ne marche pas.
    J’ajoute qu’il est évident pour moi que, en ce qui concerne les combats féministes, les hommes ont leur rôle à jouer. Mais ils ne devraient pas toujours avoir le rôle principal.
    Pour finir, je parle là des combats féministes parce que c’est ce que je connais, mais j’imagine que pour le racisme c’est pareil. Entendre tes amis blancs, à longueur de temps, dire « mais moi je ne suis pas comme ça » quand tu racontes tes difficultés pour trouver un boulot, un logement, ça peut être très fatiguant aussi.

    1. (Ouh là c’est mal écrit, je vais regretter de ne pas avoir pris le temps de te répondre plus longuement et en me relisant !)

    2. Plusieurs réponses en vrac, qui clarifieront (ou pas) mon article:
      – d’abord, l’empathie, je m’en méfie comme de la peste. J’y arrive pas, quand j’essaie je me plante royalement et intellectuellement, je pense que c’est dangereux (parce que les sentiments, ça se manipule). Bref, dans ces situations-là, j’ai pas de coeur, parce que (et pour citer une phrase que je recycle à tout va) « c’est toujours mieux que d’avoir pas de cervelle »
      – ensuite, ce que je critique, ce n’est pas tant le « laissez-nous nous exprimer » (qui est, bien entendu, parfaitement justifiable) que le « vous n’êtes pas compétent, alors fermez votre gueule » (voire pire, « vous êtes Méchants(tm), alors vous n’avez que le droit de vous taire »). Pour reprendre l’exemple proctologique (que j’aime bien, même si je n’ai, Dieu soit loué, pas encore eu à subir une telle pratique), on serait dans le cas du mec qui, parce qu’il a mal au cul, considérerait que tous les proctologues sont des barbares sadiques, et voudrait que les coloscopies se fassent par la bouche, parce qu’avoir mal au cul, c’est inadmissible. Et je pense que l’on peut ne pas nier la douleur du patient (et la brutalité du praticien, et l’irresponsabilité de l’équipe médicale tout autour), sans toutefois traiter l’ensemble d’une profession de psychopathes, et expliquer que non, on ne peut pas vraiment passer par la bouche pour faire une coloscopie, même si c’est le système utilisé pour détecter les ulcères à l’estomac.
      – enfin, je suis convaincu que l’on ne peut trouver un modus vivendi qu’en posant toutes les cartes sur la table, et en trouvant la meilleure solution pour tous (qui n’est, hélas, pas forcément la meilleure solution pour chacun). Et que donc il est essentiel que la première étape soit l’évacuation du ressenti et la factualisation du problème. En plus, ça évite de tirer à tort et à travers sur tout ce qui semblerait avoir l’air potentiellement suspect…

      1. Il faut s’entendre sur la définition de l’empathie : le ressenti ne justifie pas tout, bien sûr, et les réactions « tripales » sont rarement les meilleures. Pourtant il y a moyen, quand quelqu’un exprime quelque chose de dure, de laisser d’abord une place à sa parole et ne pas invalider ce qu’il ressent (sur le thème « mais non tu n’as pas mal » à celui qui s’est cogné le petit orteil), puis dans un second temps de réfléchir à d’éventuelles solutions (néanmoins je ne pense pas que laisser une lampe allumée en permanence et/ou se débarrasser du meuble incriminé soit une bonne idée, par contre on pourrait peut-être le déplacer, ou déplacer l’interrupteur ?)
        Des fois, on peut aussi dire qu’il n’y en a pas, de solution.
        Mais j’ai la faiblesse de croire que hors cas pathologiques de gens qui se plaignent tout le temps, laisser celui qui souffre s’exprimer, lui dire qu’on l’entend, c’est vraiment, réellement mieux que rien, et ça peut déjà faire du bien même si la situation, elle, n’a pas changé et ne changera peut-être pas.
        Je pense même que celui qu’on a laissé parler avec respect sera mieux à même de faire taire ses tripes et écouter son cerveau quand vient le moment d’évoquer les solutions éventuelles, justement.

        1. En gros, l’écoute respectueuse est précisément ce que je propose pour « l’évacuation du ressenti », dont on a effectivement besoin pour réfléchir. 🙂

      2. D’ailleurs je viens de me souvenir que mon exemple de proctologue était pas mal choisi, en fait. Pendant très longtemps on faisait les coloscopies sans anesthésie, et les patients douillaient comme pas possible (on peut imaginer qu’on ne se foutait pas de leur gueule, mais il est bien possible que souvent on leur ait demander d’arrêter de bouger, ou qu’on les ait accusés d’en faire un peu beaucoup quand même (d’ailleurs sûrement parce que les toubibs préféraient ne pas croire à la douleur qu’ils infligeaient, bref…))
        Jusqu’au jour où un proctologue a eu l’idée d’en parler à un anesthésiste et de lui demander si ça ne serait pas possible d’anesthésier les patients avant la coloscopie.
        Ça l’était.
        Ça l’était depuis des années, il fallait juste y penser et le faire.
        A mon avis un certain nombre de problèmes ont une solution tout aussi simple, qui nécessiterait juste que des gens pas directement concerné par le problème y mettent du leur.

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