Vues sur le bunker

Non, ce billet ne va pas parler du littoral normand ou de la réhabilitation du patrimoine militaire, mais d’un nouveau dispositif d’arbitrage mis en place pour la coupe du monde de rugby

Pour les quelques-uns qui ont raté le battage médiatique sur l’ensemble de l’audiovisuel public et privé, en ce moment a lieu la coupe du monde de rugby, et à cette occasion1, les instances mondiales du sport ont décidé de mettre en place un nouveau dispositif: le bunker.

Petit rappel pour les deux du fond qui découvrent le rugby: bien que sport de contact, le rugby est plein de règles déterminant ce qu’il est permis ou pas de faire à un adversaire. Une action interdite (par exemple un plaquage au dessus de la ligne des épaules) sera donc sanctionnée, mais la gravité de la sanction est fonction de tout un tas de critères dont la complexité rend le célèbre plan de Maurice d’une simplicité enfantine.

Ce bunker est un dispositif additionnel qui permet à l’arbitre de champ et son TMO de se dégager (partiellement) de l’établissement de la gravité d’un jeu dangereux2. A partir du moment où l’arbitre estime que l’action du joueur fautif est passible au minimum d’un carton jaune, il indique l’appel au bunker, qui est un lieu où des arbitres dédiés auront 8 minutes pour décider si la sanction de cette action est un carton jaune3 ou un carton rouge.

Alors le bunker, progrès ou fausse bonne idée?

Le bunker, un progrès

Tuons tout de suite le suspense, à mon avis le bunker est un progrès pour l’arbitrage du rugby (tout au moins tant qu’on considère que la vidéo est un appui à l’arbitrage, point sur lequel j’ai exprimé quelques doutes en ces colonnes), pour plusieurs raisons:

  • En premier lieu, cela favorise le jeu. Avant le bunker, la décision devait être prise sur le terrain, et l’arbitre passait de longues minutes à disséquer les images présentées pour déterminer la gravité de la sanction à appliquer à la faute, minutes pendant lesquelles le jeu était arrêté, les joueurs se refroidissaient, bref
  • En second lieu, cela favorise le spectacle. Quand les gens regardent un match de rugby, au stade ou à la télé, ils veulent voir du rugby et seuls les plus sadiques se repaissent de ralentis passés ad nauseam d’un joueur se faisant emplafonner par un autre (parfois de façon particulièrement moche)
  • En troisième lieu, cela favorise la prise de décision. Contrairement à l’arbitre de champ, le bunker n’est pas dans l’enceinte du stade, et il n’a donc pas la pression du stade ni d’une trop longue interruption du jeu.

MAIS

(parce qu’il faut bien un « mais »)

Le bunker est une boite noire. Je veux dire que si le processus décisionnel théorique (l’algorithme, quoi) est connu, documenté et tout4, les modalités de son application aux cas traités sont, elles, complètement opaques.

Ce qui ouvre la porte aux pleurnichards (hélas) de plus en plus nombreux dans le milieu (et même au plus haut niveau) qui viennent arguer sur la prétendue différence de traitement entre tel joueur (généralement de leur équipe) plus lourdement sanctionné que tel autre (généralement d’une autre équipe, voire de leur adversaire direct).

Alors que faire? C’est bien simple: publiciser les étapes de de la prise de décision, quitte à ce que ce soit via une appli ou un autre medium. On utilise déjà la technologie pour externaliser (d’une certaine façon) la prise de décision, pourquoi ne pas faire ce petit pas de plus?

PS pour les deux du fond qui se plaignent que l’arbitre de champ ne sorte pas directement le rouge même dans des cas censément « évidents », je rappelle que c’est la consigne globale aux arbitres. A moins que ce ne soit complètement évident et sans critères de mitigation possibles, il faut passer par le bunker.

  1. comme tous les six mois, me rétorqueront les esprits chafouins (qui n’ont pas fondamentalement tort, pour le coup ↩︎
  2. le jeu dangereux est une catégorie de faute, ce n’est pas lié au fait qu’on ait blessé un autre joueur ↩︎
  3. si je dois vous rappeler qu’au rugby, quand on prend un carton jaune on est exclu dix minutes, je pars bouder ↩︎
  4. je veux dire il y a même un arbre décisionnel sur le site de World Rugby ↩︎