[Team Ecriture] – Noir – la fille rose

Voici ma contribution pour le premier exercice de la Team Ecriture de l’année.

La consigne était d’écrire un texte à partir d’une couleur et d’une phrase d’ouverture donnée par un autre membre (inconnu) de l’équipe. J’ai pioché « Rose » et la phrase d’intro « C’est en arrêtant de se gratter qu’il vit la fille au parapluie ».


 

C’est en arrêtant de me gratter que je vis la fille au parapluie, qui s’apprêtait à tourner au coin. J’hésitai un instant entre remercier mon subconscient de m’avoir alerté et maudire une fois de plus la dryade qui me valait cette irritation : on ressort rarement indemne d’un champ d’orties que l’on vous fait pousser inopinément sous les pieds. Et je hâtais le pas pour ne pas perdre ma cible de vue.

La rue n’était pas très passante, aussi n’eu-je aucun problème à la repérer. On se promène rarement avec un parapluie sous le soleil de juin, et encore moins avec un parapluie sous lequel il pleut. Sans compter que la porteuse de cet accessoire incongru n’était pas non plus du genre discret. Ou plutôt ne m’apparaissait pas comme discrète. Je tentai un instant d’imaginer la manière dont elle pourrait apparaitre à un non-initié, mais abandonnai rapidement cette idée pour la détailler tout en réduisant la distance qui nous séparait. Et la première chose qui me frappa fut la couleur de sa longue chevelure, d’un rose étonnant, à mille lieues de tout ce que l’on peut imaginer comme teinture plus ou moins réussie d’adolescente en crise d’identité ou franchement ratée de petite vieille sortant d’un salon de coiffure bas de gamme. Ici, le seul terme qui venait naturellement à l’esprit était « naturel », et je me creusai la tête pour tenter de trouver une comparaison terrestre qui ne soit pas un mauvais pastiche d’Apollinaire. J’abandonnais après trois ou quatre versions plus ou moins réussies de champ de blé à l’aurore, en me rendant compte que je m’étais approchée d’elle plus que raisonnable. Elle s’était arrêtée et semblait regarder à travers la vitrine d’un magasin, ce qui me permit d’avoir un aperçu rapide de son profil net au front haut et au nez fin. Je notais également ses yeux clos, et je compris ce qu’elle était en train de faire : elle voulait sentir si elle était suivie. Je respirai un grand coup, me répétant intérieurement les paroles d’Elixe à ce sujet : « Si je te demande ça, c’est que tu n’as pas d’aura, pas de ‘signature’ surnaturelle ».

Je m’arrêtai à mon tour à hauteur d’un kiosque à journaux, et me servis d’un quotidien du soir qui avait le bon goût d’être à un prix rond. Je garde toujours quelques pièces dans les poches de mes vêtements à cette fin : s’arrêter chez un buraliste est un poncif éculé de la filature, mais le fait est qu’il marche encore, quand on sait s’en servir avec parcimonie. J’eus le temps de lire d’un œil distrait la manchette et quelques intertitres avant qu’elle ne reprenne sa route. Les passants étaient de plus en plus clairsemés, et je pus avoir le loisir de l’observer. La chevelure étonnante tombait librement sur des épaules frêles et nues… A dire vrai, elle était entièrement nue, mais le détail de son corps était comme flouté par un halo léger. Il est vrai qu’elle avait une projection mentale la dissimulant au regard du commun des mortels, mais je trouvai qu’elle manquait singulièrement de pudeur. Tous les êtres que j’avais rencontré jusqu’ici étaient vêtus, fut-ce légèrement – ou couverts de poils, dans le cas de ce serveur satyre à l’humour graveleux…

Elle tourna à nouveau, pour s’engager dans l’un de ces passages couverts que l’on trouve encore dans le quartier, et je pressai le pas pour éviter de la perdre. La chance était avec moi : je la vis entrer dans une galerie d’art, en face de laquelle se tenait fort opportunément l’un de ces restaurants à destination des cadres branchés du quartier, qui proposait des burgers estampillés bio à des prix exorbitants. N’ayant rien mangé depuis le matin, je joignis l’utile à l’agréable en m’installant sur l’une des tables minuscules de la vitrine, commandant un menu, puis je sortis mon téléphone et tapais mon rapport à Elixe.

« Elle vient de rentrer dans la Galerie Montalbano. Je suis juste en face et je prends un casse-dalle. C’est quoi la suite ? »

La réponse ne tarda pas, résonnant d’un éclat cristallin dans ma tête comme d’habitude :

Tout s’est bien passé, alors. Pas d’autres auras croisées sur le chemin ?

«  Non, je n’ai rien vu d’anormal… »

Très bien. Finis de manger tranquillement, et tu peux y aller. J’essaie de te voir ce soir…

Esquissant un sourire, je mordis généreusement dans mon hamburger. C’est alors que l’irritation me reprit. Foutue dryade…


PS: Je suis parfaitement conscient de n’avoir pas tout à fait respecté la consigne, en passant la phrase à la troisième personne.

Par ailleurs, le texte peut sembler surgir de nulle part, parce que les épisodes précédents n’ont pas encore été publiés (ni fini d’écrire, d’ailleurs). Ca fait partie des textes que j’ai commencé à ressortir en fin d’année dernière[1]voir le déclencheur ici: https://skro.hellabeth.com/?p=295, et que je ne désespère pas de continuer.

Pour les gens désireux de l’avoir sur liseuse: noir – la fille rose

References

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1 voir le déclencheur ici: https://skro.hellabeth.com/?p=295

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