Si ça bouge, régule-le, si ça bouge encore, taxe-le

Dans les nouvelles grandes idées de notre gouvernement, la dernière en date risque de passer inaperçue au regard des grondements grand-schtroumpfesques liés à la contribution environnementale, mais fait déjà pousser de hauts cris dans le cercle (hélas restreint) des amateurs littéraires:

Le ministère de la Culture envisage de taxer la revente de livres d’occasion

Franchement, qu’ont-ils derrière la tête? J’ose quand même espérer qu’il s’agit de simple connerie et pas un plan orwellien (ou bradburiesque) ce contrôle sournois des mentalités ourdi en sous-main par les Illuminati/reptiliens/franc-maçons/chinois du FBI/sbires de l’Opus Dei/autre précisez…

Mais faisons simplement un petit calcul. Un livre de poche coûte, neuf, bon an mal an une dizaine d’euros. D’occasion, c’est cinq à dix fois moins (plutôt 10 quand il s’agit de « classiques », et 5 quand ce sont des livres plus récents), avec en plus, selon l’endroit où on les achète, une dimension « sociale » (dans les endroits du style Emmaüs, les livres, issus de dons, servent entièrement à financer le fonctionnement de la structure).

Si l’on taxe, que risque-t-il de se passer?
– soit les prix augmentent (de 10 à 20% selon la violence du taux appliqué), et c’est un problème à la fois pour l’acheteur (qui voit sa capacité à budget égal diminuer) et pour le vendeur (qui va voir ses prix cesser d’être ronds, s’emmerder avec un fond de caisse en ferraille, etc).
– soit le vendeur prend « pour lui » cette taxation et a donc un manque à gagner de 10 à 20% (et, même si je ne suis pas un expert du petit commerce, je ne pense pas que la marge bénéficiaire des libraires d’occasion soit beaucoup au delà desdits 20%)… Bref, une raréfaction de l’offre qui sera in fine préjudiciable au lecteur.
On va donc étrangler ce marché du livre d’occasion, avec comme conséquence de le réduire, voire le faire disparaitre.

Et je ne parle pas des casse-têtes juridiques que vont poser brocantes, vide-greniers, déstockages de bibliothèques et autres bourses aux livres, où se vendent, parfois même par cageots, des livres d’occasion…

Et une fois le livre d’occasion disparu (quand il deviendra plus simple de – horreur ultime – jeter un livre que de lui faire vivre une deuxième vie), pensez-vous que les gens iront vers le livre neuf? Franchement? Sachant qu’en plus, l’équipement en liseuses électroniques est en train de s’accélérer? Bref, ceux qui sauront iront chercher le livre là où il est disponible (fut-ce de façon illégale), et les autres… ben les autres liront moins.

Et c’est peut-être ça le drame: On est en train de passer en quelques années d’une génération qui a eu un accès à la culture (livres, disques) énorme et (relativement) peu onéreux, en particulier grâce au marché de l’occasion à un monde où on la consomme en tranches (un morceau en mp3, ça n’est pas un album entier…) et/ou en marge de la légalité, tout ça pour alimenter l’appétit de quelques ogres suceurs de fric…

Au lieu de taxer (encore) le livre d’occasion, le ministère de la Culture ferait bien de se payer quelques exemplaires des Fables de La Fontaine à pas cher, et de relire attentivement celle de la Poule aux œufs d’Or…