Le train n’est pas un avion

Aujourd’hui, on m’a refilé le lien vers un (très long) billet d’un des co-fondateurs du site de vente de billets de train Captain Train traitant de la réforme de la SNCF, de la grève, tout ça, dans une optique un peu plus vaste que la vue franco-française qu’on peu tendance à avoir en France.

Ce monsieur, sur le principe qu’il dirige un site de vente de billets, considère qu’il a une expertise sur le sujet du transport ferroviaire que nous, vulgum pecus, n’avons pas… Et à mon avis, dans ses « propositions » sur la question[1]c’est tout en bas du billet – mais vous pouvez lire le reste aussi il rate un pan immense de la question du point de vue des usagers.

En effet, dans ces propositions, il part du principe (assez évident quand on vend des billets à l’unité) que le réseau ferroviaire serait similaire à un réseau aérien, avec des infrastructures totalement distinctes des moyens de transport, et surtout des trajets « point à point » que l’on fait, somme toute, de façon ponctuelle.

Or, pour de très nombreux usagers, le train, ce n’est pas ça (mais alors pas du tout). S’il fallait prendre un exemple, ce serait plutôt un genre de super-métro (ou un super-réseau de bus, bref de transports en commun urbains) qu’ils prennent quotidiennement pour aller travailler (qu’il s’agisse, d’ailleurs, du réseau « classique » ou des lignes TGV, et je salue-z-au passage mes petits camarades tourangeaux qui montent à Paris sur une base pluri-hebdomadaire) et dont les contraintes sont totalement différentes de la prise ponctuelle d’un billet pour partir en vacances (ou en déplacement pro, hein, je ne juge pas).

L’on me rétorquera que les transports en communs des communautés urbaines sont généralement privatisés… mais je répondrai que sur chacun des pôles, l’opérateur choisi est en situation de monopole et n’a donc pas à partager son réseau avec d’autres opérateurs. Et l’on voit assez souvent poindre dès problèmes dès que l’on commence à toucher à des questions d’intermodalité (je ne prendrai pour exemple que mon frère, dans la ville duquel le dernier tram partait de la gare 5 minutes AVANT que le dernier train n’y entre – une modification des horaire de la SNCF n’ayant pas été suivie par l’opérateur de transport local…)
Ici, une ouverture à la concurrence poserait pour l’usager quotidien un nombre de problèmes assez conséquents.

Quelques exemples en vrac tirés de mon expérience personnelle:
– suivant que je prenne un train direct pour Paris, ou un train avec changement, je ne dépends pas des mêmes sous-entités (Intercités d’une part, TER de l’autre). A supposer que le découpage par la concurrence se fasse de telle façon que les Intercités soient récupérés par une boite A et les TER de ma région par une boite B, aurai-je toujours la possibilité de monter dans le train avec changement si j’ai un forfait direct?
– D’ailleurs, ce n’est pas tout à fait exact, j’ai également la possibilité de prendre des trains se rendant ailleurs pour aller attraper une correspondance ailleurs, de façon (relativement) flexible. Qu’en sera-t-il?
– Et puis, en cas de problèmes (grève, conditions météo, accidents – oui, je fais partie des usagers qui ont subi les conséquences de l’accident de Brétigny), la SNCF me permet de monter dans l’un de ses TGV pour attraper une autre correspondance par un autre chemin afin de rentrer chez moi. Que deviendrais-je si cette ligne TGV est exploitée par un concurrent?

Autant de questions dont les réponses que l’on peut trouver dans les situations similaires d’intermodalité ne sont pas satisfaisantes:
– à l’exception de la région Ile-de-France, rares sont les abonnements transmodaux trains+bus
– les comités de régulation qui doivent bien exister pour tenter de fluidifier ces intermodalités sont assez peu efficaces
– les solutions déjà expérimentées sur les trajets internationaux (et donc de facto opérés par une union entre deux opérateurs ferroviaires différents) débouchent parfois sur des situations ubuesques liées aux différences entre les entreprises et aux procédures mal connues (je me souviens de toi, contrôleur belge du Thalys…)

Quant à croire que l’ouverture à la concurrence et le système d’enchères sur les lignes va résoudre les problèmes des lignes déficitaires et sous-employées, c’est à mon avis faire preuve d’un angélisme rare (ou alors de n’avoir jamais fait ni Orléans-Tours par le dernier train[2]même la SNCF l’a remplacé par un car, lui-même à moitié vide, abandonnant la desserte des 3/4 des gares intermédiaires au passage ni Clermont-Ferrand-Murat ou tout autre ligne de montagne un peu paumée et ne bénéficiant même pas d’une fulgurante augmentation de fréquentation lors de la saison de ski…)

Et je ne sais pas vous, mais à moins de mettre un nouveau Machin(tm) à la française histoire de maintenir un niveau de service équivalent à ce qui existe[3]et qui est quand même un peu censé être un service public – ou au moins d’utilité publique, je flippe un peu quant à ce que toute cette réforme va donner…

Et pour essayer de finir sur une blagounette:

References

References
1 c’est tout en bas du billet – mais vous pouvez lire le reste aussi
2 même la SNCF l’a remplacé par un car, lui-même à moitié vide, abandonnant la desserte des 3/4 des gares intermédiaires au passage
3 et qui est quand même un peu censé être un service public – ou au moins d’utilité publique