Le Club des cinq se rebiffe

Billet en réaction à celui de Tout à l’Ego sur la nouvelle traduction du Club des Cinq (lui même en réaction à ce billet d’il y a trois ans qui la dézinguait dans les grandes largeurs)

Si je puis me permettre (et avec un énorme caveat qui est que je n’ai pas lu les Club des Cinq en version originale), je vois plusieurs points d’inégale importance et des procès d’intention des deux côtés.
(disclaimer 2: ceci est un avis de (très) gros lecteur. Forcément, je suis en plein dans la catégorie des gens qui critiquent cette nouvelle traduction)

– sur le changement de temps, je n’aime clairement pas le passage au présent, mais je suis conscient que c’est un goût subjectif (je trouve que cela rend certaines concordances des temps foireuses)
– sur l’appauvrissement du vocabulaire (pas lu ici, mais je me souviens d’un autre article lu il y a plusieurs mois où l’on reprochait au traducteur d’avoir remplacé la plupart des verbes de paroles par un simple « dire » – je n’ai pas fait une comparaison exhaustive non plus, cela dit), si c’est avéré, c’est pour moi dommage. Je pense qu’il est très important de confronter les enfants au vocabulaire le plus large possible (et notamment parce que la pensée se construit par et grâce au vocabulaire – et c’est là que j’évoquerai la « novlangue », mais dans son sens littéral: réduire le vocabulaire pour réduire la pensée, c’est ce qui la sous-tend dans 1984 [1]Point 1984, check!).
– Sur l’actualisation du vocabulaire et (surtout) des tournures, je suis par contre parfaitement d’accord qu’un lifting devait être effectué. Entre les formules lourdes (« en admettant même que nous emportions le contenu du réfrigérateur » vs « même si nous prenions tout ce qu’il y a dans le frigo » dans un dialogue, il n’y a pas photo[2]enfin si, puisque je tire la citation de l’illustration du blog sus-évoqué), ou les anglicismes mal traduits (l’exemple que j’ai en tête n’est pas du Club des Cinq, mais d’une autre série de la bibliothèque rose, dans lequel on trouvait un « joliment » toutes les deux lignes de dialogue, genre « c’est joliment bien » ou « ça a été joliment rapide », que je trouvais parfaitement ridicule jusqu’au jour où je me suis dit – fort longtemps après, et grâce à l’aide de Google Translate – que ça devait être une traduction approximative de « pretty » – That’s pretty good, that was pretty quick), il faut reprendre les traductions des années 50 et 60…
– Sur la modification du contenu, enfin, et c’est là que je suis le plus critique. Retirer les passages où Annie chouine, c’est d’une part trahir la volonté de l’auteur: si elle a collé une gamine qui chouine, c’est qu’elle avait envie/besoin de mettre une gamine qui chouine. Et d’autre part, c’est, à mon sens, faire un procès d’intention de stéréotype. Annie en fille « qui pleurniche et fait la tambouille » est peut-être un archétype, mais toutes les filles d’Enid Blyton ne sont pas des cuisinières pleurnicheuses, à commencer par Claude. Idem pour les gitans: certains sont violents, mais ils ne le sont pas parce qu’ils sont gitans, mais parce qu’ils sont méchants (peut-être pas dans celui-là, dont je n’ai aucun souvenir précis, mais d’autres épisodes présentent justement des gitans servis comme boucs émissaires dans des affaires de vol alors qu’ils sont innocents). Et je pense qu’il est aussi important de présenter à des enfants des situations injustes, pour les faire réagir (un parent qui balance des torgnoles à son fils, c’est choquant, oui, mais c’est là pour ça aussi).
– Et pour finir, sur la question des « livres pour enfants », je n’ai jamais considéré les Club des Cinq comme un livre « pour débutants » dans la lecture. De mon temps, il y avait au sein de la Bibliothèque Rose une « sous-collection » baptisée « Minirose » et qui contenait des livres destinés aux lecteurs débutants, et où l’on trouvait le très mièvre Oui-Oui et le bien plus subversif Jojo Lapin. Les Club des Cinq et autres Fantômette sont, eux, destinés à des lecteurs qui sont déjà passés par cette étape (grosses lettres, vocabulaire simple, histoires basiques) et sont donc à même d’intégrer intrigues plus complexes et niveau de langue supérieur.

Faut-il en conclure à une baisse du niveau de langue? Certainement pas. Tout au plus un peu de soumission à l’air du temps (on élimine un peu trop de choses « qui fâchent » à mon sens), et vraisemblablement un changement de public-cible (lié au fait pas mal ancré dans l’inconscient collectif que les Bibliothèque Rose, c’est pour les enfants qui débutent en lecture).

Après, moi je m’en fiche, j’ai trouvé la collection complète dans l’ancienne version (à un ou deux pouillèmes près) dans des vide-greniers ou chez Emmaüs à très-pas-cher l’unité, alors les nouvelles traductions, je m’en fiche un peu…

References

References
1 Point 1984, check!
2 enfin si, puisque je tire la citation de l’illustration du blog sus-évoqué

2 commentaires

  1. Je m’étais émue sur Twitter de l’existence des versions abrégées des grands classiques de la littérature (oui je sais ce n’est pas exactement ce dont il s’agit ici) et j’avais eu une controverse avec @eleusie_ qui disait que c’était préférable que les jeunes connaissent l’histoire même s’ils l’ont lu en abrégé, en espérant que ça leur donne envie de lire l’intégral (ou autre chose), plutôt que les laisser en dehors de la culture littéraire.

    J’entends ses arguments mais je n’arrive toujours pas à m’y faire …

    1. Sur la question (effectivement un peu HS 😉 ) de la version abrégée, je pense que j’appliquerai aussi ce que ma chère mère (qui est une personne généralement d’excellent jugement) a fait avec moi quand elle m’a collé mon premier pavé dans les mains (et pas le moindre des trucs indigestes, puisque c’était le Roman de la Momie, de Théophile Gautier). Elle m’a dit « Tiens, voila la version intégrale. Si une description trop longue t’ennuie, tu n’auras qu’à la sauter ».

      Et je pense que c’est une réaction bien plus saine: filer le tout et laisser le lecteur choisir plutôt que de lui prédécouper sa lecture…

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